Interview de Hu Jiaxing 胡嘉興 et Zhao Fei 趙斐, créateurs de Feibai Institute 飛白學院, inauguré le 9 septembre 2022
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots (votre
ville natale, votre cursus universitaire, votre rencontre…) ? D’où viennent cette
passion pour l’art et ce besoin de créer ? Avez-vous toujours été
artistes ?
Zhao Fei :
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Je suis née à Guangzhou, Chine, très tôt dans
l’enfance, j’ai découvert et pratiquais la peinture, la calligraphie et la
musique sous l’influence de famille pendant d’innombrables voyages de peinture.
Après le double diplôme en peinture à l’huile et en piano à Capital Normal
University à Beijing, je m’installe en France en 2009. J’ai fait mon Master et
Doctorat en Arts plastiques à l’Université Paris VIII sous la direction de M.
François Jeune, cette thèse de recherche-création est intitulée : Du
Ciel : comme archétype de l’acte de création, soutenue en 2022. Mes
recherches portent sur le Ciel comme archétype de l’acte de création dans
l’histoire de l’art et en particulier dans l’art contemporain, mes créations
réinventent cet archétype céleste en m’inspirant notamment de l’esprit des
montagnes et eaux comme l’énergie cosmique de l’harmonisation entre Homme et
Nature. Durant ces dernières années, j’ai participé aux nombreuses résidences
et exposé mes travaux en Chine et en Europe, notamment Musée Cernuschi (Paris
2022), Musée Édouard Branly (Paris 2021), Boab Art Gallery (Anvers 2019),
Centrul Cultural Reduta (Brașov 2017), etc.
Hu Jiaxing :
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Je suis né à Jixi, région de Hui, pays de
l’encre, du papier et de la gravure en Chine, comme Fei, j’ai découvert et
pratiquais dès mon enfance la calligraphie, la peinture et la gravure de sceaux
chinoises. Diplômé de l’Université de Nanjing en Langue française avec des
études en arts, je m’installe à Paris en 2009 pour poursuivre ses études en
Histoire de l’art à l’École du Louvre (2009-2011). Diplômé en Master en Arts et
Langages à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (2013), j’ai obtenu
en 2019 mon Doctorat au Muséum National d’Histoire Naturelle en Anthropologie
culturelle, spécialisé en Anthropologie de l’art de l’écriture, sous la
direction de M. Christophe Comentale et de M. Emmanuel Lincot. Ma thèse est
intitulée Archéologie du geste graphique : Genèse, évolution et
systématisation de la pensée pictographique en Chine du Néolithique à la
dynastie des Tang, elle traite
le geste graphique des images et symboles comme un fil conducteur pour une
archéologie de la pensée pictographique, évoluée entre la créativité artistique
et la normalisation idéologique dans la Chine ancienne. Mes recherches et
créations portent notamment sur l’acte graphique parmi ses origines, sa
continuité dans la tradition et ses mutations contemporaines.
-
Nous avons des parcours artistiques et culturels
très similaires, disons, de la même racine. Nous avons même voyagé pratiquement
en même temps au Tibet en été 2007. Mais c’est à Paris que nous nous sommes
rencontrés, grâce à nos maîtres spirituels en commun, comme Shitao 石濤 (1642-1707), Bada Shanren 八大山人 (1626-1705), Kaii Higashiyama 東山魁夷(1908-1999),
etc. Le jour où nous nous sommes rencontrés, dans l’arboretum de la
Vallée-aux-Loups, nous avons partagé ce monde de l’art, pendant toute la
journée, entourés par ces artistes orientaux.
Zhao Fei :
-
Nous partageons la même conception de
l’art : l’essentiel, c’est la pratique et la créativité. Créativité est
innée chez nous, la pratique artistique nécessite la découverte du monde, la
création deviendra ainsi un processus de transformation, avec le monde. Nous
nous inspirons beaucoup de la pensée de l’art chinois, en particulier de
l’esprit de montagnes et eaux, de l’énergie cosmique de la nature, de la pensée
taoïste.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer
l’Institut Feibai et quelle est sa mission ? Il y a une phrase dans le
texte de quatrième de couverture de votre livre de juillet 2022, Zhao Fei, qui
dit « prends ton pinceau, le monde t’attend pour le découvrir et le
créer » : quelle est la signification de cette phrase et en quoi
est-elle liée à la mission de cet Institut artistique ?
Hu Jiaxing :
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Feibai Institute est un projet artistique que
nous avons démarré pendant nos thèses de doctorat. En tant
qu’artistes-chercheurs, nous sommes extrêmement conscients l’importance de la
pratique artistique dans la sculpture de l’esprit et dans l’approfondissement
de la culture. Durant ces dernières années, Feibai nous a accompagné dans
nos recherches et créations. Ce projet a condensé nos conceptions, réflexions
et expériences en art.
-
Notre institut a pour vocation d’éveiller la
créativité innée de chaque individu à travers la pratique artistique.
Fusionnant la calligraphie, les arts plastiques et la sinologie en une entité
dynamique, nos programmes et projets artistiques visent à explorer la tradition
de l’esthétique chinoise, tout en tissant des liens entre la culture classique
et l’art contemporain, dans la grande traversée de l’Orient à l’Occident.
Zhao Fei :
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Le monde est vaste et infini, un créateur en art
est un chercheur du monde, ce monde est autant matériel qu’immatériel.
« Prends ton pinceau », c’est-à-dire, même si nous abordons le monde
de l’art dans un processus très contemporain, conceptuel, il ne faut pas
oublier la matérialité dans la création artistique.
- Feibai signifie « blanc-volant », un espace vide dans le tracé calligraphique, c’est également ce qui nous échappe dans l’acte de création. Notre institut insiste l’importance de la pratique artistique, c’est donc à travers les actes de création que nous pouvons ainsi acquérir une expérience esthétique, explorer nos propres créativités.
Il y a un cours à l’institut Feibai qui s’appelle : « Arts plastiques & Éveil à la sinologie ». De même votre logo comporte les mots « Calligraphie, Arts plastiques, sinologie ». En quoi l’art et la sinologie sont-ils intrinsèquement liés ?
Zhao Fei :
-
Les programmes et les projets artistiques de
l’institut vont de l’éveil artistique des enfants qui leur fait progressivement
acquérir une compréhension approfondie de la pensée esthétique chinoise, au
perfectionnement des gestes graphiques des adultes qui leur fait explorer la
philosophie de l’art chinois et sa valeur actuelle. « Arts plastiques
& Éveil à la sinologie » est un programme typique de cette liaison entre
l’art et la sinologie. Il est destiné aux enfants de 7-12 ans, c’est une
période très importante du développement de leur esprit. L’approche des arts
plastiques leur permet d’apprécier la philosophie chinoise, et encore de comprendre
l’art chinois dans un contexte occidental. Dans le programme Arts plastique
& Éveil à la sinologie, les enfants sont amenés à explorer la culture
classique autour d’un thème annuel d’esthétique chinoise. Ils sont encouragés à
emprunter des éléments de l’esthétique classique, pour créer successivement des
œuvres employant des matériaux et des langages artistiques divers. En associant
leur création au contexte occidental dans lequel ils grandissent, ils
réinventent une esthétique chinoise, et libèrent leur potentiel créatif.
Pensez-vous que les écrans et le numérique
auxquels sont exposés les enfants très tôt de nos jours a des conséquences et
qu’il y a un manque de créativité chez les nouvelles générations ou en
général ? En effet, vous avez un cours appelé « éveil artistique ». De
plus, vous évoquez sur votre site « l’importance fondamentale de la
pratique artistique dans la sculpture de l’esprit », en quoi la pratique
artistique « sculpte » -t-elle l’esprit ?
Zhao Fei :
-
Vous venez d’aborder une question très
importante. Je ne suis pas convaincue que la nouvelle technologie, malgré sa
facilité, puisse remplacer la dimension matérielle dans le processus du
développement de la créativité. Certes, nous sommes dans l’ère numérique où la
transmission des savoirs est beaucoup plus efficace, cela nous aide énormément,
surtout pour les nouvelles générations, à accéder aux connaissances. Néanmoins,
l’expérience esthétique ne parvient qu’avec la pratique artistique ou
culturelle, le geste est essentiel dans l’acte de création. Je ne crois pas non
plus qu’il y a un manque de créativité chez les nouvelles générations, il faut
leur laisser un vide dans la diversité numérique de notre époque, ils nous
apporteront beaucoup de surprises.
-
Quand nous pensons à l’importance de la pratique
artistique dans la sculpture de l’esprit,
nous pensons à nos propres expériences de la création artistique. En fait,
créer une œuvre d’art, c’est créer un micro-cosmos, quand on fait l’art, on est
libre, on est à la fois ouvert et introspectif.
Hu Jiaxing :
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Exactement. Cette expérience esthétique est une
aventure, aussi bien physique que spirituelle. Pour trouver le bon geste, il y
a beaucoup de répétition, beaucoup d’essai, beaucoup de force. Ce processus
« sculpte » notre esprit.
Finalement, en quoi
l’art est-il essentiel dans la vie ?
Zhao Fei :
-
L’acte de création est une action avec le Temps,
car, l’art crée des expériences qui nous font traverser les différentes
qualités de l’espace-temps, l’acte de création est un acte cosmogonique qui
transcende l’homogénéité du temps quotidien dans notre vie.
Hu Jiaxing :
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La force vient de la source. L’homme crée les
signes, les symboles pour transformer le monde. La recherche de l’art via le
geste graphique est une archéologie de l’origine de la pensée esthétique, une révélation
de la force créatrice qui est, sans doute, ombrée par la routine de la vie.
Bravo pour votre
inauguration le 9 septembre dernier, que souhaitez vous pour l’avenir ?
-
Merci ! Nous avons créé un lieu au centre
de Paris, nous souhaitons « créer un monde » dans les longues années
à venir.
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