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Bienvenue amis lecteurs,

Ceci est un blog sur tout ce qui m'intéresse par rapport à la Chine, ça peut être du digital, du champagne, des expositions d'art contemporain chinois... Vous trouverez aussi quelques récits de mes voyages là-bas !
Récemment j'ai choisi de partager avec vous des interviews de grands sinologues, d'experts et de personnalités que j'ai rencontrées lors de mon parcours académique et professionnel.

samedi 7 novembre 2020

Interview de Christophe Comentale HDR Enseignant au Centre culturel chinois et à l'institut catholique de Paris, Conseiller scientifique au Musée chinois du quotidien, Conservateur en chef honoraire au Muséum national d'histoire naturelle

 

Comment êtes-vous devenu conservateur en chef au Musée de l’Homme ? Pouvez-vous nous raconter votre parcours s’il vous plaît ? Quel lien entretenez-vous avec la Chine ? Comment a commencé cette passion pour ce pays ?

▪ Enfant, j’ai eu, à plusieurs reprises, l’étonnement de voir face à moi, dans des revues, des publicités qui expliquaient en chinois des processus de soin, notamment des pieds. Une fois, justement, alors que j’étais seul dans une salle d’attente, un jour où ma mère consultait, j’ai déchiré la page mystérieuse. Je l’ai conservée plusieurs années, jusqu’au moment où, en seconde, j’ai pris le chinois comme langue optionnelle… La magie avait commencé d’opérer…

▪ ▪ Mais, en parallèle, j’ai commencé d’observer la Chine à partir de l’Italie – mes racines -, les séjours en Chine étaient peu satisfaisants alors. J’ai donc abordé le pays avec les écrits des premiers sinologues, les missionnaires, notamment italiens et fait un DEA et une thèse sur Matteo Ripa, missionnaire graveur à la Cour de l’empereur et introducteur de l’eau-forte en Chine. J’ai traduit la partie de ses Mémoires relatifs à cette technique.
▪▪▪ En parallèle aux études, j’ai, bien sûr, dû faire face à la nécessité de gagner ma vie. J’ai d’abord passé le concours de conservateur des bibliothèques et ai eu différentes affectations, l’une étant au Centre Pompidou où j’ai monté les fonds chinois et ceux de la médiathèque de langues. J’ai opté ensuite pour le patrimoine, ce qui a permis des postes variés, dont le travail au Musée du Vieux Palais de Taiwan, puis au Muséum national d’histoire naturelle, au département du musée de l’Homme où j’ai été chargé de mission pour la Chine et me suis spécialisé dans un premier temps sur le Néolithique chinois, l’étude était complétée par des fouilles sur site, puis, dans un deuxième, ai constitué des fonds d’images populaires chinoises. Là encore, vu le peu d’intérêt manifesté par l’institution pour ce sujet, j’ai préféré ensuite continuer l’aventure autrement, comme nous le verrons plus bas…

▪ ▪ ▪ ▪ Durant les années 80, après la fin de la Grande révolution culturelle prolétarienne (1966-1976), les frémissements d’ouverture du pays se faisaient de plus en plus précis. Parallèlement, je connaissais de plus en plus de chercheurs, d’intellectuels, de réfugiés chinois. J’ai jugé utile de monter une association afin de permettre des échanges bilatéraux entre nos deux pays. Ainsi l’ACEA (Association culturelle Europe-Asie) est née, qui a aidé aux premiers échanges épistolaires avec des artistes chinois, aux premières expositions de leurs œuvres, déjà sponsorisées par des institutions privées. Là encore, je n’ai pas fait vraiment de distinction entre mon travail et mon engagement associatif. Les choses se sont superposées assez naturellement au fil des rencontres, des échanges, des sensibilités, et, surtout, des volontés de réaliser des projets.

▪▪▪▪▪ En 1995, le ministère des Affaires étrangères avait besoin d’un conservateur sinisant, sinologue et historien de l’art pour étoffer son équipe en poste à l’Ambassade de France à Pékin. Il a fallu mener de front arts, audiovisuel, politique de la lecture, sciences humaines. J’avais, heureusement deux assistantes sinisantes et, elles aussi, passionnées par ce pays. Ainsi ont pu être invités des spécialistes de tous domaines pour des expositions, des colloques, des résidences. Comme beaucoup de mes semblables, les expositions continuaient chez moi pour préparer des articles et autres échanges. Ainsi est née la revue Avant-gardes qui montrait des artistes Est-Ouest. Avec le fort soutien du professeur de Lumley, alors directeur du Muséum, la coopération internationale en archéologie préhistorique a pris son envol et s’est concrétisée par une superbe exposition des Premiers peuplements au Musée de l’Homme. Pour les années France-Chine, j’ai pu monter des expositions Est-Ouest sur les images, des originaux et des multiples des deux pays, dans des musées de Hong Kong, Pékin, Paris.

Les choses ont ensuite évolué…



Vous avez ouvert votre propre musée n’est-ce pas ? Qu’est ce qui a motivé cette démarche ? 

 Depuis 1999 et jusqu’à 2018, j’ai été conservateur puis conservateur en chef au Muséum, des secteurs de recherches se sont succédé. Une habilitation à diriger des recherches me permet encore de rester directeur scientifique dans cette institution et d’encadrer des doctorants, tous sinisants. Leurs sujets sont autant co-centrés sur l’archéologie que sur l’histoire de l’art contemporain. Il n’empêche que j’ai constaté des manques importants sur le quotidien chinois dans les musées européens et aussi au Muséum. J’ai donc, en concertation avec Françoise Dautresme pu monter depuis 2018 un musée chinois du quotidien à Lodève. Un imposant bâtiment du 19e siècle a recueilli sur deux des trois niveaux du lieu quelque deux mille pièces qui comblent ce manque. Précisons qu’un nombre inférieur est exposé et le reliquat conservé dans les réserves. Lieu à statut associatif, avec une équipe restreinte, des expositions, des colloques animent cet espace unique qui a un niveau consacré aux expositions temporaires et aussi aux événements éphémères. Les autorités administratives montrent peu à peu un intérêt entier pour cette institution qui reste dynamique et montre des pièces inconnues au public entouré de musées de toutes sortes. Un comité scientifique constitué de collègues chercheurs de tous horizons étudie des pièces étonnantes. Des articles faisant le point sont ensuite publiés sur le blog science et art contemporain – lui aussi doté d’un comité de rédaction international. Ce lieu montre ainsi que le quotidien chinois est bien loin des clichés et stéréotypes auxquels le public européen est habitué. On trouve aussi bien des objets issus de l’agriculture que des jades à caractère thérapeutique, propitiatoire, des céramiques, des tissus, jeux et jouets, meubles et outils, instruments de musique, tous donnés par Françoise Dautresme. Des dons d’autres collectionneurs s’ajoutent doucement – et sont acceptés prudemment – au sein de ce lieu. Nous nous essayons patiemment à faire accepter ce lieu dans un contexte réglementaire autre. Patience et longueur de temps …

blog Sciences & art contemporain: http://alaincardenas.com/blog/



Dans votre livre sur « les images porte-bonheur populaires en Chine » vous faites une distinction entre l’art populaire et l’art en général, quelle est la différence selon vous ? 

J’ai, très tôt, été conquis par l’esthétique des objets chinois de toutes sortes : les formes, les couleurs, la logique qui a présidé à leur conception, à leur diffusion, autant de critères maîtrisés avec un sens inné de la création. Dans un texte souvent cité, Françoise Dautresme définit ainsi l’objet chinois : « Il ne viendrait pas à l’idée d’un Chinois de fabriquer quelque chose de laid. Pour lui, un objet beau étant un objet bien fabriqué, et l’objet bien fabriqué étant un objet utile, seul l’utile est beau et le beau est forcément utile. L’économie dicte le geste. L’artisan prend ses ordres auprès du matériau. Le matériau donne une seule réponse. Le génie va de pair avec la récupération. Et comme en Chine tout se tient et que les contraires font bon ménage, on admet qu’une maison et sa cour, correctement orientées, représentent le monde, que trois perspectives opposées puissent coexister sur une peinture de paysan, que tous les matériaux aient le droit d’exister, que la langue écrite soit un artisanat qui rend service à la réalité des choses et que le mot soit fabriqué comme un objet ». [Françoise Dautresme, Le voyage en Chine, Paris : FD, 1976]. Je crois, qu’implicitement, j’ai partagé ce même jugement sur les objets chinois et aussi sur la place de l’art dit populaire. Alors qu’une modernisation intense se fait jour en Chine depuis l’ouverture économique qu’accompagne un enrichissement de la population atteinte d’une boulimie de consommation qui n’a rien à envier à la France des années 60, des objets traditionnels disparaissent, certes, mais les motifs qui les ornent, des motifs, pour la plupart, propitiatoires, restent toujours aussi importants et magiques aux yeux du grand nombre. Les objets, articles, accessoires édités, produits, créés pour les fêtes les plus diverses, pour le plaisir de travailler les formes, de charmer, divertir, ne cessent de véhiculer des surprises et une fascination constante.




En effet vous vous intéressez à l’art mais aussi à l’art du quotidien en général, pourquoi ce choix ? Quels trésors recèlent ces arts du quotidien selon vous que l’on ne peut retrouver dans l’art dont « le souci esthétique » est la seule finalité comme vous l’écrivez ?  

Cet art dit du quotidien, il n’est pas seulement synonyme d’art de la modestie tant par l’emploi des matériaux que par leur sublimation. On trouve des créations d’œuvres sur papier, tissu, des pierres dures, en particulier le jade, des bijoux de toutes sortes. Ils collent à tous les aspects de la vie sociale. Comme l’a bien vu et vécu Françoise Daustreme, éminence grise de son cousin François, le fondateur de la CFOC, le souci esthétique de l’art pour l’art que le président Mao Zedong voulait éradiquer s’est transformé en une approche plus modérée qui convient, en fait, à tout un chacun en utilisant, sans honte, des matériaux de toutes sortes, voire de rebut, comme ces collages réalisés avec des tissus de toutes provenances.
Parmi les vitrines qui distillent ces objets, les formes étranges des pierres, des bois, de même que des céramiques monochromes ou bleu et blanc produites, à l’origine, en grand nombre, reflètent un art, une joie de vivre…


Le livre « Cent ans d’art chinois » est une véritable mine d’or, mais avez-vous un artiste préféré ? Ou un courant que vous affectionnez plus particulièrement ? 

Aimer l’objet du quotidien n’empêche nullement d’apprécier d’autres branches de la création telles la peinture, la sculpture, le dessin, les estampages, les installations, la vidéo… Au fil des séminaires que je dirige, des cours que je donne, des conférences que je propose ici et là, je me suis aperçu que nombre d’artistes étaient ignorés, sacrifiés par le marché de l’art. Pourquoi un choix unique ? J’ai donc depuis plusieurs décennies continué mes échanges avec des collègues d’autres musées, avec des artistes qui m’expliquaient leur problématique. Il était primordial de compléter ces dialogues par des séjours nombreux dans différents endroits du pays, autant dans les marchés aux puces que dans les boutiques, galeries ou en allant rendre visite à des artisans. Confronter toutes ces images a semblé parfois incongru à certains de mes collègues, mais je remarque que les étudiants, les curieux, les collectionneurs se retrouvent dans cet éternel puzzle que les goûts humains associent / dissocient à un moment donné.

Ainsi dix ans après la parution – en 2010 – de la première édition de ce livre, en fin d’année [2020], une édition revue et augmentée va paraître, qui rassemble des inconnus et des artistes révérés par le marché de l’art. Un historien de l’art est une sorte d’entomologiste qui recueille des échantillons et qui réfléchit ensuite à leur spécificité. Jamais il n’aime ou ne déteste une œuvre, ou alors, il se garde bien de le dire…

Dans l’atelier de Liu Xiaodong, Pékin

Ce livre est un petit bijou, à l’image des nombreuses œuvres qu’il présente !



Souhaitez-vous partager quelque chose en particulier avec nos lecteurs ? 

Traiter de l’art est, certes, intéressant, voir comment, avec le temps qui passe, les choses lui résistent, périssent, comment elles se répartissent selon les classes sociales, va me permettre d’autres publications nées de la familiarité avec les arts dits décoratifs, ils sont, eux aussi, une forme d’objets du quotidien, négligés souvent par les raisons les plus diverses.


Le musée chinois du quotidien sera un peu une façon de voir comment les objets existent et restent indispensables à l’homme. Les visiteurs qui reviennent en sont un témoignage vivant.



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